07 avril 2010

L'attente pressée

Tout est douceur... Tout est pastellisé. Autour et en moi. Ce couvre-lit apparemment féroce n'est qu'une étendue nuageuse sur laquelle je flotte. Ce tissu de couleur foncée est aussi léger qu'un fil de soie pur et délicat. La luminosité feutrée est le reflet de la douce chaleur au fond de moi et affleurante. Mais mon rouge à lèvre, les crocs et les griffes de la bête, les reflets brillants du voile, la pointe de me seins gonflés sont autant d'annonces de la montée du feu en moi... Je me tortille légèrement à l'idée de ton approche. Je me suis baignée d'eau parfumée, à peine séchée, j'ai noué mes cheveux et placé ce diadème que les perles de mon châle rosé rappellent. La nuit n'est pas encore arrivée, le jour pas encore n'est couché, mais je suis là installée, mon univers mental est déjà traversé de toi. Je sens déjà tout dans mon corps et mon esprit. Il ne manque que toi, ton regard et ton toucher sur moi. Le coussin m'empêche de rouler, me presse et me maintient dans le bon axe, sans quoi j'aurais déjà roulé trois fois autour de la pièce pour sentir quelque chose contre mon corps à défaut de toi. J'ai tout prévu, je me connais et les tapis ne seraient qu'ersatz sans charme. Rien d'autre que toi ne fera exulter mes sens... A part toi, une seule chose trotte dans mon esprit, le filet de la clepsydre qui s'échappe et coule sans cesser, file lentement et rythme mon attente langoureuse et pressée. Là. Je suis traversée de toi.

MudeGirl

La Sieste, de Delphin ENJOLRAS.

01 janvier 2007

L'histoire de Lunaire

Cela fait bien longtemps que tout le monde l'appelle Lunaire. Cet homme, par force ou par désespoir, peut-être par la force du désespoir, est devenu magicien. Petit, on raconte qu'il fût presque heureux. Mais déjà, il cherchait autre chose, il sentait qu'il pourrait peut-être le trouver auprès de la Lune. On raconte qu'il avait constaté que plus il grandissait, plus il s'approchait -physiquement autant qu'émotionnellement- d'elle. On dit également que c'est à force de tendre le cou pour regarder l'astre lunaire, qu'il est devenu si fin, si élancé, et que certains ont commencé à lui donner ce surnom. Plus tard, lorsque son corps a cessé de grandir, c'est la mélancolie qui s'est accrue. Il s'est retiré au fond de la forêt voisine. On dit qu'il s'est bâti une cabane, mais personne n'a jamais pu la voir. D'intrépides gamins ont souvent essayé de le suivre lorsqu'il se plongeait dans la forêt, mais alors qu'ils réussissaient à le suivre pas à pas au milieu des arbres et des broussailles, au bout d'un certain temps, c'est comme si la végétation se faisait son complice et finissait par le cacher un peu, puis par le faire totalement disparaître. Les bambins revenaient alors chez eux plus excités que véritablement déçus.
Un jour, Lunaire a commencé à avoir des douleurs dans la nuque. Tristan, le vieux médecin du village lui expliqua qu'il risquait de soufrir d'un torticolis à vie, à toujours tendre les yeux, les rêves et la tête vers la Lune. C'est alors que l'homme se tailla une canne aussi longue que lui-même et y sculpta tout au bout... une lune. Il ne s'agissait pas de l'astre lui-même, mais il se trouva qu'en regarder sa représentation ne perturbait en rien sa réception des ondes lunaires. Lunaire sortait souvent de la forêt et traversait le village en longueur, marchant au milieu de la Grand'Rue. Il ne parlait à personne, pourtant son regard passait sans cesse de la lune de son bâton aux visages des gens qu'il croisait, mais le plus impressionnant était cet air qu'il avait d'être si concentré, si puissamment concentré. Puis arrivé à la sortie du village, il faisait demi-tour, et empruntait cette fois de plus petites rues qui le ramenaient dans la forêt où chaque fois sa présence s'évanouissait.
Un jour de grand soleil (il semblait que le soleil multipliait les effets de la Lune), alors qu'il passait dans le village au niveau de la boutique de Firmin le cordonnier, les passants virent qu'une légère lumière bleutée s'était mise à irradier du corps de Lunaire. Ces passants -plus qu'intrigués- commencèrent à marcher derrière lui pour admirer cette étonnante manifestation. D'autres villageois s'étaient joints au cortège pantois, quand tout à coup, la lumière s'intensifia, les scintillements commencèrent à s'assembler, et à tournoyer, de plus en plus vite. Enfin d'un seul coup, tout ceci s'apaisa et ce sont de petites étoiles qui se mirent à naître une à une, et à s'échapper de son manteau comme elles le feraient d'une petite fontaine improvisée : Lunaire laissait derrière lui, une fine traînée d'étoiles. Les villageois furent tout d'abord éblouis de tant de beauté, et lorsqu'ils furent parsemés eux-mêmes de ces petites étoiles, ils se mirent à ressentir un doux bien-être, frais et léger...
L'histoire de cette première apparition des étoiles lunaires fut contée, racontée, reracontée entre villageois, à leurs enfants, à leurs petits-enfants. Et elle l'est toujours à présent. Lunaire est maintenant bien vieux. Il traverse toujours le petit village en longueur, régulièrement, plus lentement qu'auparavant. Mais des petites étoiles s'échappent encore sur son passage, allégeant l'âme des villageois. Soulageant d'autant plus le poids de leur âme que ceux-ci sont bien trop conscients de leur bonheur pour risquer de le perdre.
Lunaire, lui, n'avait pas changé. Il continuait de laisser derrière lui, une fine traînée d'étoiles. En revanche, les villageois avaient dû créer un cimetière particulier, caché, tout au fond de la forêt. Aucun étranger ne devait être témoin de leur miracle. Personne ne devait savoir qu'ils avaient un magicien, qui les lavait sans le savoir, de ce cercle vicieux. Pour l'instant, cet équilibre tenait. La magie. L'horreur pour conserver la magie. La magie qui lave de l'horreur. Mais l'horreur à nouveau pour conserver la magie. Et la magie toujours pour ne pas sombrer dans la folie.

Mude Girl.

Illustration de MadCreator.

21 octobre 2006

Une forêt pour Aurora

J'étais soucieuse. J'avais besoin d'un moment de solitude, de calme et de tranquilité. Il m'était nécessaire de pouvoir me plonger dans mes pensées sans que l'on ne me dérange. Je me suis dit qu'une longue promenade dans la forêt d'Ardennes était la bienvenue. J'ai pris ma voiture. En arrivant à l'orée de la forêt, je me suis garée et me suis enfoncée dans l'épaisse forêt verte et ocre. Cette forêt est tellement étendue que si l'on s'éloigne des sentiers plus ou moins tout tracés, régulièment empruntés, il est alors aisé de ne rencontrer personne pendant de long kilomètres. C'est précisément ce qu'il s'est produit. J'aime infiniment m'imprégner de cette nature foisonnante, des légers chants d'oiseaux, des frémissements de feuilles, et des parfums de flore épanouie. Mais ce jour-là, je n'étais pas particulièrement attentive à ce qui m'entourait, j'étais plutôt à l'écoute des sensations et des réflexions internes. Ce sont des moments tout aussi précieux.
Tout à coup, une chose extérieure m'a surprise. Quoi donc ? me dis-je les yeux n'ayant pas encore émergé de mes profondeurs. Le silence. C'était cela. Plus aucun bruit à part mes pas, plus de piaillements ni d'effets du vent. Que se passait-il ? Je levai la tête :

Quel ravissement ! Quel étrange paysage ! Les couleurs étaient si étonnantes, si peu courantes ! J'étais arrivée sans m'en rendre compte dans un espace radicalement différent. C'était comme déboucher tout à coup sur une grande clairière, sauf que j'étais toujours entourée d'arbres. C'était un paysage tout à fait inconnu, mais il n'avait pourtant rien d'inquiétant. Il était plutôt parfaitement apaisant. La luminosité était extraordinaire. Les couleurs semblaient totalement irréalistes ; et pourtant en y regardant de plus près, elles n'étaient pas si farfelues. En réalité, c'était comme si tout était plus doux, plus diffus, plus calme... C'était comme si la vie s'était pastellisée. J'aurais voulu y rester une éternité...

Mude Girl

13 juin 2006

Dans ce petit coin de rien



Il fût un temps où Hiddenkid jouait au milieu des arbres et des forêts, cabriolait avec les libellules et les lombrics. Il s'agit d'un temps maintenant bien distant. Non pas que Hiddenkid ait si longuement vécu, mais tellement de choses se sont passées depuis. Il fût un temps où Hiddenkid jouait au milieu des plaines et des fontaines, il passait de longues heures à écouter les ruisseaux, les oiseaux et à converser avec les fleurs. Ces innocentes occupations sont révolues. A présent, loin de la vie, Hiddenkid joue de la flûte dans ce petit coin de rien, et se souvient. Il fût un temps où Hiddenkid jouait au milieu des dunes et des opalines...

Mude Girl.

10 juin 2006

Par ici, cher ami.

Par ici, cher ami. J'ai demandé à ce que l'on nous installe la table à l'ombre du vieux pommier courbé. Chercher la fraîcheur est de rigueur en ce début d'été qui déjà nous inonde. Voyez mon ami, Chaby y a déjà trouvé sa place, il a tout compris. Les chats sont bien avisés. D'aucuns parlent d'instinct, mais j'affirme qu'il s'agit d'intelligence. Venez par ici, nous avons l'après-midi pour converser assis au milieu de ce terrain méridional. Je sais combien cette région vous enchante et combien il est rare que vous puissiez vous y rendre. Ce que je vous comprends ! Avant de venir me retirer ici, c'était un rêve qui me tenait depuis plusieurs décennies. Vous savez parfaitement, cher ami, combien la vie m'a occupé, souvent préoccupé, et combien elle m'a parfois comblé. Depuis que j'ai fait de ce lieu ma retraite champêtre, si longuement et ardemment désirée, je puis me dire heureux. Passons par ici mon ami, j'ai fait porter une belle bouteille et deux verres pour que nous puissions en deviser. L'amour du vin nous a toujours fait nous rapprocher, n'est-ce pas ? Je disais donc que ma vie en ces contrées me sied en tout point. J'espère qu'en cet après-midi, vous pourrez apercevoir ne serait-ce qu'un bref éclat de ce qu'est ma tranquillité ici, la richesse de ma paisible vie, la joie profonde que m'inspirent les arbres, le soleil, les grillons, les livres, les étoiles, le vin et les rares visites d'amis chers. Asseyons-nous, mon ami, asseyons-nous ici.

Mude Girl.

Wine for two, de Walter I. Cox.

31 mai 2006

Mon amour étiolé


Mon pauvre ami, mon pauvre amour. Je t'aime aussi, je t'aime toujours. Mais je vois.. Si mon amour s'est quelque peu étiolé, je vois que toi, tu t'es tout à fait desséché. Pourquoi ton corps est-il devenu ce bois mort ? Je te le dis mon pauvre ami, mon pauvre amour, je t'aimais aussi, je t'aimais encore. Mais toi, tu es mort. Que puis-je faire là, maintenant, mon amour étiolé, mon amant désincarné ? Ta chevelure est tombée. Tes yeux se sont pochés. Tes membres se sont ratiboisés. On ne m'a pas appris à me dépatouiller d'un amour étiolé, d'un corps momifié, d'une histoire avariée. J'ai effectivement posé les yeux ailleurs, mais ils n'étaient pas partis si loin. Vois-tu je suis là ! Mais non, tu ne me vois pas, tu ne me vois plus. Que puis-je faire avec toi maintenant ? Tu étais mince et élancé, te voilà décharné. Tu n'es plus, pourtant tu restes là. La question n'est plus : que puis-je faire avec toi ? Je me demande à présent : mais que faire de ce qu'il reste de toi ? Sans doute un feu de bois, un feu de joie, un feu de toi.

Mude Girl.

25 mai 2006

Le néohumain Mitko31

Le néohumain Mitko31 ne pensait plus qu'à cela. Il avait pourtant tout le loisir d'occuper son cerveau à la tâche intellectuelle de son choix, mais c'était une idée, une idée simple et lancinante qui occupait maintenant tout son espace mental : Dehors. Cela lui avait pris il y avait près de deux mois. Allez savoir pourquoi lui était venue l'idée, plus que saugrenue, d'aller fouiller les archives des récits de vie de néohumains qui avaient déverrouillé leur porte et qui étaient sortis. Pas seulement sortis pour mettre le nez dehors, mais bien sortis pour s'en aller. Il avait parcouru les récits notamment de Daniel25 ou encore de Marie23. Quelque chose s'était passé en Mitko31. Quelque chose d'intime et de profond. Il avait photogravé plusieurs de ces récits de vie et s'était mis à les lire et les relire. Pourquoi et surtout comment ces néohumains avaient-ils ressentis l'envie de s'échapper ? De quitter leur confort, leur puits de savoirs, sûrement la meilleure vie possible ? Ils avaient dû entrevoir à un moment, la possibilité d'autre chose, mais ils avaient sans doute plus précisément ressenti l'excitation de l'inconnu. Il est évident pour tout néohumain que la meilleure vie possible est celle qui a été choisie pour eux, et par conséquent les vies qu'ils ne mènent pas, sont d'un moindre intérêt.


En réalité, plus Mitko s'imprégniait des récits de vie de ces déserteurs, et plus il comprenait que ce n'était pas tant l'idée d'une autre vie, c'est à dire une vie meilleure, qui les avait fascinés, et qui le fascinait, sinon le fait que ces autres vies et ce qui pouvait s'y passer ne faisait pas partie de son univers physique, mais même pas de son univers mental. Les néohumains avaient accès à d'anciens écrits racontant la vie antique des humains... Mais alors que Mitko n'avait jamais douté de la réalité des connaissances qu'il avait acquises théoriquement sur quelque sujet que ce soit, il lui devenait de plus en plus évident qu'en ce qui concernait l'antique vie des humains, aucun récit, si minutieux soit-il, ne pourrait concurrencer le fait d'en faire l'expérience effective. C'est pour cela que depuis plusieurs semaines Mitko avait totalement brisé son grand écran pluricathodique, il avait littéralement défoncé son mur sur une surface adéquate et avait branché l'ancien cadre télévisuel (et autres matériels appropriés) directement sur la réalité du dehors. Mitko était fasciné par ces scènes quasi désertiques du Dehors, et par toutes ces images sorties de nulle part qui lui aparaissaient intérieurement sans crier gare lors de ses longues observations extérioristes. Un jour, il réussirait à s'extirper de sa léthargie due à ce soudain tiraillement entre le dedans et le Dehors. Il allait avoir besoin de ruminer encore ces choses quelque temps, mais il était heureux. Car en fait, il avait redécouvert le désir. Et l'imagination.

Mude Girl.