01 janvier 2007

L'histoire de Lunaire

Cela fait bien longtemps que tout le monde l'appelle Lunaire. Cet homme, par force ou par désespoir, peut-être par la force du désespoir, est devenu magicien. Petit, on raconte qu'il fût presque heureux. Mais déjà, il cherchait autre chose, il sentait qu'il pourrait peut-être le trouver auprès de la Lune. On raconte qu'il avait constaté que plus il grandissait, plus il s'approchait -physiquement autant qu'émotionnellement- d'elle. On dit également que c'est à force de tendre le cou pour regarder l'astre lunaire, qu'il est devenu si fin, si élancé, et que certains ont commencé à lui donner ce surnom. Plus tard, lorsque son corps a cessé de grandir, c'est la mélancolie qui s'est accrue. Il s'est retiré au fond de la forêt voisine. On dit qu'il s'est bâti une cabane, mais personne n'a jamais pu la voir. D'intrépides gamins ont souvent essayé de le suivre lorsqu'il se plongeait dans la forêt, mais alors qu'ils réussissaient à le suivre pas à pas au milieu des arbres et des broussailles, au bout d'un certain temps, c'est comme si la végétation se faisait son complice et finissait par le cacher un peu, puis par le faire totalement disparaître. Les bambins revenaient alors chez eux plus excités que véritablement déçus.
Un jour, Lunaire a commencé à avoir des douleurs dans la nuque. Tristan, le vieux médecin du village lui expliqua qu'il risquait de soufrir d'un torticolis à vie, à toujours tendre les yeux, les rêves et la tête vers la Lune. C'est alors que l'homme se tailla une canne aussi longue que lui-même et y sculpta tout au bout... une lune. Il ne s'agissait pas de l'astre lui-même, mais il se trouva qu'en regarder sa représentation ne perturbait en rien sa réception des ondes lunaires. Lunaire sortait souvent de la forêt et traversait le village en longueur, marchant au milieu de la Grand'Rue. Il ne parlait à personne, pourtant son regard passait sans cesse de la lune de son bâton aux visages des gens qu'il croisait, mais le plus impressionnant était cet air qu'il avait d'être si concentré, si puissamment concentré. Puis arrivé à la sortie du village, il faisait demi-tour, et empruntait cette fois de plus petites rues qui le ramenaient dans la forêt où chaque fois sa présence s'évanouissait.
Un jour de grand soleil (il semblait que le soleil multipliait les effets de la Lune), alors qu'il passait dans le village au niveau de la boutique de Firmin le cordonnier, les passants virent qu'une légère lumière bleutée s'était mise à irradier du corps de Lunaire. Ces passants -plus qu'intrigués- commencèrent à marcher derrière lui pour admirer cette étonnante manifestation. D'autres villageois s'étaient joints au cortège pantois, quand tout à coup, la lumière s'intensifia, les scintillements commencèrent à s'assembler, et à tournoyer, de plus en plus vite. Enfin d'un seul coup, tout ceci s'apaisa et ce sont de petites étoiles qui se mirent à naître une à une, et à s'échapper de son manteau comme elles le feraient d'une petite fontaine improvisée : Lunaire laissait derrière lui, une fine traînée d'étoiles. Les villageois furent tout d'abord éblouis de tant de beauté, et lorsqu'ils furent parsemés eux-mêmes de ces petites étoiles, ils se mirent à ressentir un doux bien-être, frais et léger...
L'histoire de cette première apparition des étoiles lunaires fut contée, racontée, reracontée entre villageois, à leurs enfants, à leurs petits-enfants. Et elle l'est toujours à présent. Lunaire est maintenant bien vieux. Il traverse toujours le petit village en longueur, régulièrement, plus lentement qu'auparavant. Mais des petites étoiles s'échappent encore sur son passage, allégeant l'âme des villageois. Soulageant d'autant plus le poids de leur âme que ceux-ci sont bien trop conscients de leur bonheur pour risquer de le perdre.
Lunaire, lui, n'avait pas changé. Il continuait de laisser derrière lui, une fine traînée d'étoiles. En revanche, les villageois avaient dû créer un cimetière particulier, caché, tout au fond de la forêt. Aucun étranger ne devait être témoin de leur miracle. Personne ne devait savoir qu'ils avaient un magicien, qui les lavait sans le savoir, de ce cercle vicieux. Pour l'instant, cet équilibre tenait. La magie. L'horreur pour conserver la magie. La magie qui lave de l'horreur. Mais l'horreur à nouveau pour conserver la magie. Et la magie toujours pour ne pas sombrer dans la folie.

Mude Girl.

Illustration de MadCreator.

1 Commentaires:

Blogger Caroline Berghmans a dit...

Jolie conte Mude Girl!
En espérant que tu reviennes vite sur ce ondes,
à +!

18:33  

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